Le voyage du grenadier

Le voyage du grenadier

Le voyage du grenadier

La route tortille entre les collines, quelques moutons sur le côté viennent casser le silence de cette campagne. Ça a bien changé depuis mon départ en France, maintenant la route est goudronnée. A la fin du chemin, on arrive dans le petit village de mon enfance. Il ne reste que 2 ou 3 familles qui habitent encore ici, tous sont partis pour les villes et seulement la petite mosquée est encore animée le vendredi.

C’est la fin de l’automne, les feuilles sont jaunes et les dernières grenades attendent tranquillement sur les arbres d’être ramassées. Ca ressemble a des sapins de Noël décorés, disons que c’est nos sapins à nous. Ces grenades là, je les ai longtemps cherchées et je ne les ai jamais trouvées ailleurs. Des grenades juteuses et acidulées. Elles sont belles, rouges foncées. On les épluche en tapant dessus avec une cuillère et on les mange avec du sel. Au Kurdistan il y a beaucoup de grenadiers mais également des figuiers, des vignes, des noyers, des oliviers, des cormiers… C’est un climat très chaud l’été et froid l’hiver.

Aux alentours, les moutons ont les fesses grasses. Un gras très recherché, au goût indescriptible. On fait des grillades et le fameux kebab, le vrai kebab, celui sur des grandes broches plates, cuit sur le feu.

Ma mère ramasse les dernières graines des légumes qu’elle range dans pleins de petites boîtes dans la cuisine. Les graines de tous ces légumes de mon enfance : les gombos que l’on mange en sauce, des grands concombres que l’on saupoudrer de sumac, des tomates, des fèves… On me raconte que ces dernières années l’hiver met du temps à arriver et que l’eau vacille entre sécheresses et inondations. Le verger de mes parents n’a pas été épargné, beaucoup d’arbres ont souffert.

Ma mère prépare un thé sur le feu dans la cour. J’entends le bruit des claquettes sur le sol et des frottements de la djellaba de mon père qui fait le tour du jardin. Ici le temps s’arrête, tout est encore là. Pleins de souvenirs me reviennent. Nous les Kurdes nous aimons les grands espaces et les picnics. Dans nos sorties nous partons dans la nature avec tapis, casseroles, théières, barbecue… et l’on chante et on danse. C’est notre manière d’être heureux.

Je prends des graines et je coupe quelques boutures. Je souhaite ramener un peu d’ici là- bas, dans l’Auvergne où je me suis installée maintenant. Je regarde mon fils et je me fais la promesse d’essayer de lui faire connaître ma langue, ma cuisine, mon agriculture, ma vie. En espérant que pour longtemps le monde se rappellera du Kurdistan. 

J. Beaumont & Y. Jawameer

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