Vendanges 2025 à Aujaguet : la résistance tranquille des cépages interdits

Vendanges 2025 à Aujaguet : la résistance tranquille des cépages interdits

Il y a plus de quarante ans, Gilbert Bischeri se lançait à Aujaguet (Gard) dans l’aventure d’un conservatoire des cépages interdits. Guidée par la transmission familiale, l’amour de la vigne et le goût du patrimoine, l’aventure s’est tournée vers la mémoire et la réhabilitation de variétés oubliées. Sur sa parcelle, il rassemble une dizaine de cépages hybrides, les entretient en treille, les multiplie, les observe et les vinifie à petite échelle, avec quasiment aucun traitement. Son objectif : préserver la diversité génétique, explorer la résistance naturelle de ces vignes aux maladies et aux aléas climatiques, et proposer une alternative locale et écologique aux variétés classiques. Plus qu’une simple collection, son conservatoire est devenu une résistance vivante, un acte de mémoire et une exploration des possibles viticoles dans un monde en mutation. Chaque nouvelle cuvée raconte ainsi l’histoire d’une viticulture humble mais tenace, porteuse de promesses et d’avenir.

Globalement, les cépages interdits ont montré une bonne capacité de résilience, bien meilleure que celle de beaucoup de cépages classiques.

Cette année, comment se sont déroulées les vendanges dans ton conservatoire des cépages interdits à Aujaguet ? Quelle est ton impression générale sur la récolte : quantité, qualité, état sanitaire des raisins ?

Les vendanges se sont très bien passées. Nous avons eu une très belle récolte sur la parcelle conservatoire d’Aujaguet, à la fois en quantité et en qualité. Les raisins étaient dans un excellent état sanitaire, ce qui est toujours une satisfaction.

As-tu constaté de grandes différences de maturité et de rendement entre cépages (Clinton, Othello, Isabelle, Herbemont, etc.) ? Comment ont-ils réagi aux conditions climatiques de l’été 2025 ? Le cépage Isabelle, souvent plus tardif, a-t-il confirmé cette tendance ?

Oui, on a pu observer de vraies différences, les écarts phénologiques entre cépages se sont confirmés. L’Isabelle a eu plus de mal à suivre ses colocataires : sa maturité était plus tardive et il a fallu attendre 20 jours de plus pour la vendanger. C’est un cépage qui confirme sa réputation d’être un peu décalé  par rapport aux  autres. En revanche, les autres cépages interdits ont bien résisté à la chaleur estivale. Seuls les jeunes plants, d’un an ou deux, ont eu besoin d’être arrosés pour passer le cap.


Quelles difficultés climatiques as-tu rencontrées cette saison (sécheresse, excès de pluie, gel, chaleur) ? Comment ces cépages interdits ont-ils réagi par rapport aux variétés classiques ? Peut-on dire que 2025 confirme leur réputation de cépages « résistants » ?

L’été a été chaud, avec un stress hydrique pour les plus jeunes pieds. Mais globalement, les cépages interdits ont montré une bonne capacité de résilience, bien meilleure que celle de beaucoup de cépages classiques. Leur système racinaire et leur rusticité génétique leur permettent de maintenir une photosynthèse active malgré les contraintes hydriques. On peut dire que 2025 confirme leur réputation de cépages dit “résistants”, avec un rapport sucre/acidité globalement stable.

Quand pourra-t-on déguster le vin primeur de cette année ? Quels profils aromatiques ou particularités attendez-vous des cépages de 2025 ?

Le vin primeur sera disponible à la mi-novembre, autour du 20. Nous attendons des profils toujours très appréciés de nos fidèles amateurs. Aussi, nous voyons arriver de nouveaux découvreurs curieux de goûter ces cépages interdits. Le salon des vins rebelles au château de Bouthéon, dans la Loire, l’a d’ailleurs confirmé : les visiteurs s’y sont montrés très intéressés. Ce rendez-vous sera reconduit en 2026, les 1er et 2 mai.

Dégustation à Aujaguet après vendanges des raisins de cépages interdits par ordre dematurité : Baco, York, Concord, Clinton, Jacquez, noah, Isabelle… les 18, 19 et 20 septembre.

Les cépages interdits présentent un profil aromatique singulier dominé par des notes dites “foxées”, attribuées aux méthyl-anthranilates (esters aromatiques typiques de V. Labrusca).

  • Clinton : intensité aromatique élevée, dominée par des arômes de fruits noirs (cassis, mûre) avec une forte composante foxée.
  • Othello : notes marquées de fraise cuite, confiture et arômes foxés persistants, souvent perçus comme rustiques.
  • Isabelle : arômes typiques de fraise des bois, framboise et nuance florale musquée, accompagnés de la note foxée.
  • Herbemont : profil plus léger, avec des notes fruitées (raisin frais, pomme) et florales, moins foxé que Clinton ou Othello.

L’assemblage de ces cépages livre une expression aromatique précise et singulière : attaque marquée par la fraise des bois, relayée par un registre floral complexe où dominent narcisse, violette et lilas ; l’ensemble est soutenu par une fine touche d’agrume rappelant la bergamote. La bouche, délicate et fraîche, prolonge ce profil avec une persistance florale élégante. 

Dans l’ensemble, ces cépages partagent une expression sensorielle jugée atypique pour les standards œnologiques européens. Mais c’est aussi ce qui fait leur charme ! Leurs profils aromatiques singuliers traduisent l’expression de composés volatils rares dans Vitis vinifera, conférant à ces vins une identité organoleptique unique.

En tant que conservateur, comment perçois-tu l’évolution du regard du public et des institutions sur ces cépages interdits ? Où en sont les démarches autour de leur reconnaissance officielle (IGP Cévennes, Observatoire, PAC 2027…) ?

On sent que le regard évolue positivement. Les amateurs, sommeliers et institutions s’ouvrent de plus en plus à l’idée que ces cépages font partie de notre patrimoine viticole. Pour preuve, j’ai accueilli le 17 septembre dernier le CFA Servwine d’Alès, avec une vingtaine d’élèves sommeliers et leur professeur : leur curiosité et leur intérêt étaient très encourageants. La résistance naturelle de ces cépages séduit face aux enjeux climatiques et phytosanitaires actuels. La reconnaissance officielle est encore en débat, mais les échanges se multiplient, notamment via l’Observatoire et les discussions sur la future PAC 2027. Il reste encore du chemin.

Et pour finir, quels prochains rendez-vous as-tu prévu pour faire découvrir les vins d’Aujaguet ?

Le 24 octobre à 19h à Saint-Julien-les-Rosiers (30), j’animerai une soirée dégustation sur le thème Miel, Châtaigne et Vin primeur d’Aujaguet. Un repas (15 € sur réservation) accompagnera la découverte des vins. On vous y attend nombreux pour partager ce moment convivial et découvrir en avant-première la cuvée 2025.


En savoir plus sur les « cépages interdits » :

« Des vignes en résistance » – Hors-série

n° 74 – « Spécial cépages interdits » (en téléchargement)

« Vins interdits – Clinton, Isabelle, Baco et les autres cépages rebelles » – de Michele Borgo et Angelo Costacurta, avec les contributions d’Enos Costantini et Sergio Tazzer


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